La pie-grièche écorcheur, l’art de la brochette

Une plume plus grande qu’un moineau, ornée d’un beau bandeau noir en travers d’un visage aux joues blanches, seul son bec légèrement crochu pourra nous donner un indice sur la sombre réalité qui se cache derrière un masque d’innocence, j’ai nommé : la pie-grièche écorcheur.

Un nom légèrement morbide non ? Ce nom lui va pourtant à ravir : ce petit oiseau est en réalité un prédateur d’invertébrés, mais aussi de lézards, grenouilles et de petits mammifères. Vous commencez à voir venir le point spécial : des proies aussi grosses représentent beaucoup pour un seul repas (un campagnol peut peser entre 25 et 50g, ce qui équivaut à peu près à la même fourchette de poids que notre intéressé d’aujourd’hui).
Le principe est alors très simple, la pie-grièche va alors emporter sa proie vers une branche épineuse, un barbelé de clôture ou quelconque autre objet pointu, en hauteur et bien solide… Pour y empaler sa victime !! Le butin pourra alors être consommé durant plusieurs jours, parfois même par plusieurs membres de la famille, stocké en sécurité loin du sol. Si la nourriture est abondante, l’animal peut ainsi régulièrement constituer des réserves grâce à cette méthode.

Pour des raisons de bienséance, en pensée aux âmes sensibles et surtout car je n’ai pas encore eu la chance d’en voir, je ne montrerai pas d’image de cette méthode de conservation, et laisserai les curieux se faire leur idée sur internet ou dans un livre.

Etymologisons un peu

Ce comportement pour le moins atypique est propre à la famille des Laniidae et du genre Lanius, les deux venant du mot latin Lanius qui signifie « boucher ». C’est en effet la personne qui, sur les étals de marchés au Moyen-Âge, présentait ses viandes suspendues par une ficelle, parfois plantées sur des crochets ou des tiges. Cela explicite aussi « écorcheur », cette espèce ayant certainement été recensée la première, même si tous les membres des Laniidés empalent des proies ainsi (c’est pour cette même raison que le flamant rose s’appelle ainsi alors que c’est celui dont le rose est le plus pâle et discret parmi les six espèces de flamants, ces dernières vivants soit en Afrique du Sud, soit en Amérique. Premier trouvé, premier servi) .

Le nom de pie-grièche vient quant à lui de Pica (Nom donné à plusieurs oiseaux au plumage noir et blanc, dont la pie bavarde) qui n’est ni plus ni moins que le féminin de Picus désignant pour sa part les pics, comme le pic vert ou le pic épeiche (quand je vous dit que les voies de la dénomination taxonomique sont impénétrables…).
Le mot grièche vient quant à lui du vieux français où, féminin de griois ou grègeois, il signifie une origine grecque.
Mais que viennent donc faire les Grecs dans cette histoire ? Et bien d’après différents dictionnaires et sources que j’ai pu croiser, une explication viendrait du fait que les grecs étaient, au Moyen-Âge encore une fois, réputés querelleurs, et on aurait donc décidé de l’attribuer aussi à ce passereau… Comme quoi être en mauvais terme avec ses voisins peut finir en nom d’oiseau.

A quoi ressemble-t-il ?

La pie-grièche écorcheur est un oiseau d’environ 17cm de long pour une envergure d’environ 26cm. Sa silhouette posée est, comme beaucoup de petits passereaux, plutôt rondouillette, même si la tête sort nettement des épaules et la queue dépasse bien des ailes repliées. le bec est conique et crochu à l’extrémité. Son vol est direct et battu.

En terme de couleurs le critère le plus notable chez le mâle adulte est un masque noir barrant les yeux et le dessus du bec jusqu’aux oreilles. Le dessus de la tête et la nuque son gris clairs et la gorge est blanche. L’œil est sombre. Le bec est, comme les pattes, de couleur ardoise. Le dos et le dessus des couvertures alaires sont bruns tandis que les rémiges sont d’une teinte plus sombre. Le dessous des ailes est plus clair. Le ventre est d’un rose pâle uni jusqu’à un croupion/couverture sus-caudale blanc et la queue au motif bien visible en vol mélange du blanc sur les côtés de la base avec du brun sombre du milieu aux extrémités.

Il existe un remarquable dimorphisme sexuel car chez la femelle le masque est parfois discontinu, n’apparaissant qu’entre les yeux et les joues, et est marron. On remarque aussi un sourcil blanc, la calotte est marron elle aussi. Le ventre est de couleur plus crème et l’on peut distinguer des stries plus sombres sur les flancs et le dessus des ailes, laissant une idée d’écailles. ces stries se retrouvent chez le juvénile qui ressemble, comme souvent, beaucoup à la femelle, à ceci près que la calotte ne sera pas aussi unie.

Des confusions sont possibles entre la femelle écorcheur et la pie-grièche brune, ou la pie-grièche du Turkestan, mais les aires de répartition peuvent aider à éviter les erreurs. Il est possible aussi sur un coup d’œil malavisé de voir un traquet motteux.

Ci-dessous : P-g écorcheur mâle à gauche, traquet motteux à droite : la queue bien plus courte, et les ailes plus sombres

Milieu de vie et écologie

La pie-grièche écorcheur nécessite un habitat ouvert ou semi-ouvert afin de pouvoir chasser, et la présence de haies ou de buissons pour nidifier. Les essences épineuses comme le prunelier et les ronces sont privilégiées pour la pose du nid mais aussi pour pouvoir y permettre les fameux sites d’empalement des proies, appelés des « lardoirs ». Il faut préciser que cette méthode de conservation est utilisée aussi bien pour les grosses proies offrant plusieurs repas, que pour les plus petites comme les insectes, qui seront mangées en une fois. Les invertébrés restent les proies majoritaires, représentant près de 90% du tableau de chasse de la pie-grièche.

La recherche des proies peut se faire à l’affût, en observant depuis un perchoir pour trouver des proies au sol, sur lesquelles l’oiseau fondra et tuera d’un coup de bec. Pour la capture d’insecte volant comme les hyménoptères ou les odonates, la pie-grièche les poursuivra en vol.

Peu agressive avec d’autres congénères tant que les frontières territoriales sont bien établies (à grand renfort de cris stridents et rêches, l’émettrice perchée bien en vue), on peut tout à fait apercevoir plusieurs couples séparés chacun d’une centaine de mètres vivre en bonne-entente, tant que la nourriture est abondante évidemment.

Migration & reproduction

La pie-grièche est un oiseau migrateur, présent en France sur une période relativement restreinte : entre mai et septembre, le temps de concevoir, couver et élever une nichée, exceptionnellement deux. Le reste de l’année est passée en Afrique tropicale. Détail intéressant, le circuit de migration se fait en boucle : la résidence sud-Africaine est rejointe en ligne droite à l’automne, mais c’est par l’Afrique de l’Est et la péninsule Arabique que le trajet retour est effectué.

Une fois le mâle arrivé dans ses quartiers d’été, la recherche d’un territoire peut commencer, afin d’être prêt à accueillir les femelles qui remontent un peu plus tard. Une fois installé, le mâle peut commencer à attirer les femelles en chantant, puis après une brève parade amoureuse le couple se mettra à la construction d’un nid assez gros car en bol aplati de 15cm de diamètre pour 8cm de hauteur. La fabrication leur prendra environ 5 jours, une fois que monsieur aura décidé de l’emplacement.
Les matériaux peuvent être de toute sorte : brindilles, poils d’animaux, mousse, petits bouts de papier (on ne dit pas si cela permettra aux petits de dessiner en attendant les parents) et la femelle pourra ainsi pondre entre 4 et 6 œufs à l’abri dans les épines des buissons. C’est la femelle qui s’occupera de couver tandis que le mâle fera les livraisons de repas et la défense du territoire. Environ deux semaines plus tard les petits écloront et seront nourris par les deux parents, et il faudra encore deux semaines afin que les jeunes ne quittent le nid. Cependant le travail de parent ne s’arrêtera pas là car le couple se séparera et chacun prendra la charge de la moitié de la couvée afin d’assurer l’apport en nourriture durant les 3 semaines nécessaires à l’émancipation des jeunes. Après cette brève parenthèse en Europe, il sera déjà temps de repartir pour le Tropique du Capricorne, les adultes s’envolant en général avant les jeunes.

Menaces et mesures de protections

Oiseau classé en « Préoccupation mineure » par l’UICN, les populations de pies-grièches françaises stagnent pour l’instant après une diminution des effectifs à l’échelle européenne.

Les menaces principales qui planent sur cette espèce sont la disparition de ses proies majoritaires, ou l’empoisonnement indirect, les insectes étant eux-mêmes victimes des insecticides près des petites parcelles de cultures ou de pâturage, qui correspondent à des niches écologiques potentielles pour la pie-grièche, offrant ainsi un milieu semi-ouvert ouvert avec du bocage. Découlant de là vient une deuxième raison principale, la perte de son milieu dû à l’augmentation de la taille des parcelles agricoles, éliminant les haies et arbres isolés qui sont des sites de nidifications potentiels. Il faut aussi prendre en compte les dangers qui existent en dehors de la phase de nidification, avec par exemple les pluviométries abondantes ou sur une longue période en Afrique du Sud, qui peuvent mettre à mal les populations d’insectes et de facto de pie-grièche.


Cet article touche à sa fin, j’espère qu’il vous aura permis de découvrir -ou redécouvrir- l’existence d’un oiseau atypique qui passe relativement peu de temps en France, mais dont la présence à un moment critique qu’est la reproduction est signe que les individus peuvent encore trouver un environnement suffisamment favorable. Sur ce, je vous laisse, je retourne jouer à Codex Naturalis.

Ci-dessous la preuve qu’à vouloir se concentrer sur une espèce en particulier, on ne peut que rater l’environnement dans lequel elle vit : la nature est un tout, et trop zoomer nuit à vos photos. (Jeune en vol venant de récupérer une proie dans le bec de son parent)

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