Le bec, proéminence de la tête chez l’oiseau mais aussi chez d’autres animaux comme la tortue ou le dauphin, semble à tout le moins quelque chose de simple : une partie en haut et une partie en bas, qui peuvent s’écarter et se rapprocher pour effectuer une mouvement de mâchoire. Il s’agit toutefois d’une spécificité bien plus complète qu’une simple pince en bout de tête.
Il est notamment au chapitre de la théorie de l’évolution de Darwin, qui a basé ses recherches sur des différences morphologiques des becs de plusieurs espèces d’oiseaux des îles Galapagos.
Qu’est-ce qu’un bec ?
Un peu d’anatomie pour commencer : le bec est constitué de kératine, tout comme nos ongles et nos poils de manière générale, de même d’ailleurs que les plumes des oiseaux. De facto le bec pousse tout au long de la vie de l’oiseau. Il se fixe sur les mandibules supérieures et inférieures du crâne, qui sont quant à elles constituées d’os. Il est décomposé en plusieurs zones très spécifiques, mais nous ne retiendrons -dans un but d’identification d’espèces- généralement que quatre zones :
- La partie supérieure du bec, majoritairement plus grande et contenant les orifices nasaux ainsi qu’une potentielle spécificité comme un crochet, des poils ou des crénelures.
- La partie inférieure du bec reliée à la mâchoire inférieure mobile, permettant l’ouverture et fermeture du bec. L’ensemble des parties cornées supérieure et inférieure forme la rhamphothèque (« Etui du bec » en grec).
- La cire, qui est une zone de peau épaisse et sans plume plus ou moins prononcée à la base du bec.
- La caroncule, bourrelet, simple replis ou grande excroissance de chair se trouvant sur, sous ou autour du bec et jouant la plupart du temps un rôle dans la parade. Elle subit ainsi souvent un dimorphisme sexuel.
A quoi ça sert ?
Il sert à manger, c’est là une certitude si déconcertante que j’ai hésité à l’écrire. Toutefois, en plus de servir à faire entrer la nourriture dans le gosier de l’oiseau, le bec a de nombreux usages :
Doigts : Le bec est en effet un excellent organe sensoriel, capable de ressentir les vibrations et les mouvements, parfois accompagnés de vibrisses. Cette capacité est très utilisée par les oiseaux qui se nourrissent de petites proies enfouies dans le sol ou le sable, à l’instar des limicoles comme le courlis ou la bécassine des marais.
Main : un oiseau possède comme moyen de manipulation ses pattes ainsi que son bec. Très efficace grâce à la mobilité du cou voire même l’utilisation de la langue, un oiseau pourra sans souci tenir correctement sa nourriture ou encore un objet comme des matériaux de nidification.
Peigne : Les oiseaux passent une très grande partie de leur temps à lisser leur plumage, ce qui serait impossible sans le bec, hors un plumage mal entretenu se détériore, amenant de graves problèmes pouvant nuire à la survie de l’individu comme une gêne durant le vol, une mauvaise isolation thermique ou une perméabilité à l’eau.
Burin : Le pic, vous connaissez ? Bah voilà, avec plus d’une dizaine de coups de becs par seconde contre le bois, que ce soit pour forer son nid ou trouver des insectes, un bec très rigide c’est pratique (même si ça ne fait pas tout).
Tenue d’apparat : Beaucoup d’oiseaux se voient dotés de parures colorées à la période de reproduction, chez le macareux moine il s’agit de plaques de kératines supplémentaires qui poussent par dessus le bec, et qui tombent après la période de reproduction. L’objectif est d’attirer les femelles par leurs couleurs, tout comme le plumage nuptial.
Climatiseur : Sous les chaudes latitudes américaines vivent plusieurs espèces de toucans, ces oiseaux au bec surdimensionné se servent en réalité des vaisseaux sanguins qui passent sous la couche cornée pour se thermoréguler : le sang chaud passant dans le bec se retrouve proche de l’extérieur et donc refroidi (à noter que la température corporelle d’un oiseau est généralement supérieure à la nôtre de quelques degrés). Le fonctionnement est le même pour la peau sous le bec chez le pélican et pour les oreilles des éléphants, ou, avec l’effet inverse, nos radiateurs.
Filtre : Certains oiseaux se nourrissent de planctons, mais comment attraper des êtres microscopiques en suspension dans l’eau ? Chez les flamants la solution a été trouvée sous forme de fanons (oui oui, comme les baleines). Le flamant fait bouger sa langue pour aspirer de l’eau, puis la rééjecte en refermant le bec. L’eau ressort alors entre les fanons et le plancton reste prisonnier, puis un coup de langue permet ensuite de râcler la nourriture.
Les différentes formes de becs
Les adaptations qui ont amené une diversité de formes aussi importante sont la suite de centaines de générations de sélection génétique. Ce qui en découle aujourd’hui est la possibilité à comprendre le régime alimentaire, le sexe ou encore le milieu de vie d’un oiseau, par la simple observation de son bec. Il existe d’ailleurs une classification alternative basée sur la forme des rhamphothèques. Nous nous tiendrons ici à une version simplifiée, en sachant qu’il existe toujours des exceptions comme pour le macareux ou la spatule.
Un bec long et effilé en forme de cône sera significatif d’un insectivore -comme le rougegorge dont nous avons déjà parlé- afin de saisir leurs proies avec précision sans attraper cinq touffes d’herbe ou de cailloux en même temps.
Un bec large et épais traduira une capacité à retenir de gros fruits et broyer des coques ou des noyaux afin d’en retirer l’amande.
Si le bec est allongé et droit comme une dague, le régime piscivore est tout indiqué, comme les hérons ou le martin-pêcheur. Chez certains mangeurs de poissons on trouve un crochet au bout du bec, dont le rôle est d’aider à tourner la proie pour qu’elle soit avalée dans le sens des écailles, évitant les coupures.
Pour un bec long, fin et parfois recourbé (vers le bas dans la grande majorité des cas), c’est un oiseau qui se nourrira sur l’estran de petits crustacés invertébrés. On les appelle les limicoles, tels que les courlis ou, pour citer un contre-exemple, l’avocette élégante.
Concernant les rapaces et les charognards, le bec sera coudé et crochu pour permettre de couper et arracher des lambeaux de chair. Spécificité chez les vautours, on notera un bec plus allongé pour pouvoir s’enfoncer dans la carcasse en salissant le moins possible le plumage.
Enfin, un bec aplati horizontalement, en forme de cuillère, témoignera chez beaucoup d’anatidés comme les canards, cygnes et oies, qui sont majoritairement herbivores, mais peuvent compléter leur régime avec une plus ou moins grande quantité de petits invertébrés.
Il existe ensuite une multitude d’adaptations ou de spécialisations, comme le bec du colibri en forme de paille pour aspirer le nectar, le bec coudé du flamant, le bec du pélican dont le replis de peau permet de s’en servir comme d’une épuisette…
Une adaptation au vol
Qui dit oiseau dit aussi généralement vol (désolé les manchots, on vous aime quand même), cependant être capable de se soustraire du plancher des vaches demande nombre de paramètres, et rien ne doit être laissé au hasard, le bec ne dérogeant pas à la règle : disparition de la lourde dentition au profit d’un outil solide et léger capable de briser un fruit ou une baie pour certains, ou encore de saisir, maintenir, assommer, tuer et dépecer une proie pour d’autres. Tant de rôles assurés par les dents chez les animaux qui en possèdent, rôles brillamment remplacés par le bec.
Nous pourrions au final parler encore longtemps de chaque particularité du bec des oiseaux, tant il en existe de différents et tant le sujet est large et touche à de multiples facettes. J’espère en tout cas que ce sujet vous aura plu, et que vous en aurez appris un peu plus sur nos extraordinaires amis à plumes.
Sur ce, je vous laisse, je vais me sucrer le bec.
Crédit photos : Valentin Legendre