Pas touche à la Digitale !

On en voit partout en ce moment : la Digitale pourpre, Digitalis purpurea, avec ses grosses fleurs rose pourpre ou blanches en cloche, est d’une beauté…mortelle !

Pas de panique : elle ne peut pas vous sauter dessus. Par contre, il est important de connaître et reconnaître cette plante, ainsi que d’éduquer nos petits pour qu’ils évitent de jouer avec elle. Mot d’ordre : pas touche à la Digitale !

Une plante toxique, voire mortelle

Commençons alors par parler de sa toxicité. Chez certaines personnes, des irritations de la peau par contact avec la plante ont été observées (en lien avec des saponines irritantes), mais le danger principale de la Digitale se révèle à l’ingestion : toutes les parties de cette plante contiennent entre autre un hétéroside cardioactif, la digitaline (ou digitoxine), qui a un puissant effet à niveau du cœur. Les symptômes vont des troubles digestifs, problèmes neuro-sensoriels (vue trouble, vertige, confusion…) et bien sûr, effets cardio-vasculaires tel qu’une irrégularité, une accélération ou une baisse considérable du rythme cardiaque, qui peuvent mener à l’arrêt cardiaque et à la mort. Les symptômes peuvent durer plusieurs jours et les toxines de la Digitale ne disparaissent ni après séchage, ni après cuisson de la plante. On le répète ensemble : pas touche à la Digitale !

La quantité léthale est difficile à calculer car elle varie avec différents facteurs (type de sol, exposition, saison…), alors le plus prudent c’est de tout simplement s’abstenir de consommer cette plante. Autrefois, la digitaline était utilisée en pharmacopée car, si bien dosée, elle aide à lutter contre les troubles cardiaques. Mais sa difficulté de dosage a causé l’abandon de cet usage en infusion ou décoction, jusqu’au jour où la digitaline a été isolée chimiquement et aujourd’hui, elle est extraite des feuilles de Digitale et utilisée dans différents médicaments pour le cœur ! De quoi faire remonter en flèche sa réputation 😉

Comment la reconnaître

A présent, un peu de botanique. La Digitale pourpre, Digitalis purpurea, de la famille des Plantaginacées ou des Scrophulariacées en fonction de la classification utilisée (la génétique nous réserve souvent des surprises), est une plante bisannuelle à vivace, qui crée une rosette de larges feuilles la première année et montera en fleurs l’année suivante.

Ses feuilles sont grandes, jusqu’à 30 cm de longueur et 12 cm de largeur, lancéolées, aiguës, au bord entier ou denté, pétiolées pour les basales et les caulinaires (les feuilles accrochées à la tige) plus basses, sessiles (donc sans pétiole) pour les plus hautes. Elles sont ailées, c’est à dire que le limbe de la feuille se poursuit en s’affinant le long du pétiole jusqu’à la tige, ce qui est bien visible sur les feuilles caulinaires.

Les feuilles sont velues, surtout sur la partie inférieure, qui est dite tomenteuse : couverte de longs poils cotonneux gris qui lui donnent un aspect clair et doux au toucher. C’est un caractère important car ça permet de les distinguer des feuilles de Consoude (Symphytum officinale), qui sont comestibles, très semblables en taille et forme à la Digitale mais raiches au toucher. Les nervures de la Digitale sont saillantes (en 3D, on les reconnaît là aussi au toucher) et le limbe (la parte verte et aplatie de la feuille) est crénelé.

La hampe florale peut monter à plus de 1,50 m ! Elle est creuse mais solide, poilue, non ramifiée. Elle porte dans sa partie supérieure plusieurs fleures en grappes terminales, unilatéralement (d’un seul côté de la tige). Ce sont de grosses cloches ou « saxophones » pour les amis, car en effet elles s’affinent à niveau de l’ovaire (qui se trouve du côté de la tige) pour rendre sélectif l’accès au nectar. Les fleurs sont dites tubulaires (les 5 pétales sont soudés), ventrues, de 3.5 à 5 cm de grandeur. A l’intérieur elles présentent des tâches rouge foncé (riches en anthocyanes) entourées de blanc, pour signaler le chemin vers le pollen et le nectar qui se trouvent vers le fond. Dans la variété blanche, ces tâches sont jaunes. Aussi, l’intérieur de la fleur est barbu, recouvert de poils glanduleux qui rendent l’accès difficile aux petits insectes.

Les premières fleurs à éclore sont celles du bas, ce qui fait que la floraison d’un plant peut s’étaler sur plusieurs semaines. Parfois la fleur tout en haut a une forme bizarre : elle est appelée alors Pélorie, du grec qui signifie monstre (sympa…), et possède plus de lobes et une forme de coupe ouverte. Ce sera à vérifier bientôt car pour le moment la floraison n’a pas atteint le sommet 🙂

Ces fleurs sont souvent de couleur pourpre, mais parfois rose clair ou blancs (D. purpurea Alba). Ce sont tous des phénotypes (expressions visibles des gènes, la morphologie) spontanés qui peuvent se rencontrer en nature. La forme des fleurs, avec le rétrécissement vers l’ovaire, la présence de poils gluants à l’entrée et les tâches qui mènent au nectar, servent à sélectionner les insectes qui polliniseront ces fleurs. Ce seront donc des insectes assez gros et costaud pour passer les poils, et qui ont une trompe assez longue pour accéder au nectar dans la partie étroite du fond (une trompe d’au moins 7 mm !). Les heureux gagnants sont donc des bourdons 🙂

La Digitale, quand elle est présente, peut créer des grandes populations. Après fécondation, les fleurs tombent mais les calices (l’ensemble des sépales, les « petites folioles en bas des pétales qui forment une espèce de coupe ») restent accrochés et protègent les fruits en formation. Chaque fruit est une capsule qui produit de nombreuses graines minuscules, permettant à la Digitale de se reproduire facilement et de pousser en masse tant que les conditions sont favorables. Elle apprécie les sols acides (siliceux) et la lumière, sa présence peut indiquer que le milieu est passé récemment de l’ombre à la lumière (chute d’un arbre à proximité, éclaircie, coupe…). Si le milieu se referme, les graines peuvent rester dans le sol pendant plusieurs années pour s’épanouir le jour où la lumière sera de retour. On la trouve donc dans les clairières, les talus, les fossés, les bords de route, les landes et les bois clairs.

Une plante mythique

Digitale, c’est un mot qui devrait vous faire penser aux doigts. Ses autres noms sont, entre autres, Gant-de-Notre-Dame, Gant-de-bergère, Doigtier… De nouveau, une référence aux doigts, d’une main ou des gants. D’un côté, on pourrait croire que c’est dû à la forme des fleurs : on aurait très envie d’y rentrer un doigt et jouer avec, l’ouverture est à la bonne taille ! Et en ce faisant (ce qui est déconseillé bien sûr, ça reste une plante toxique alors on ne joue pas avec !!), on obtiendrait une simulation d’un petit outil utilisé par les couturières… vous devinez ? C’est le dé à coudre 🙂 son nom allemand est une traduction littérale de cela (Fingerhut).

La Digitale est présente dans plusieurs mythes et plusieurs cultures. Par exemple, un mythe nordique indique que les elfes se coiffent de digitale pour danser au clair de lune. Chez les Celtes, une préparation à base de digitale était utilisée pour éloigner les mauvais esprits des maisons. Dans une légende des îles britanniques, on dit que la Digitale était utilisée par les renards en guise de chaussures censées réduire le bruit de leurs pas, pour qu’ils puissent mieux attaquer les poulaillers…d’où le nom anglais de Foxglove, Gant de renard. C’est une image plutôt marrante !

Cette image ne m’appartient pas. Elle vient d’un puzzle online du site JiGiDi, lien ici.

Dans la mythologie romaine, on explique l’origine de la digitale par une chouette histoire : la déesse Junon possédait un magnifique dé à coudre en rubis, qu’elle perdit. Pour la consoler, son époux Jupiter transforma le dé à coudre perdu en digitale, de façon à ce qu’aucun humain puisse le voler.

Attention, ce qui suit est un commentaire perso de mauvaise foi : c’est pas ouf comme consolation à mon avis, de le transformer en plante toxique…surtout que si Jupiter était capable de transformer le dé à coudre en plante, c’est qu’il savait où il est, alors pourquoi pas juste le récupérer ?? J’ai du mal à comprendre les mythes…

Mythes ou réalités, va savoir… Toujours est que ces belles panaches roses sur nos talus et bords de routes apportent une touche de couleur appréciée en cette fin de printemps 🙂

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